Guinée : Entre rejet politique, méfiance citoyenne et débat juridique, le projet de nouvelle Constitution divise

Alors que la République de Guinée s’apprête à entamer la dernière phase de sa transition par un référendum constitutionnel prévu le 21 septembre 2025, la remise officielle de l’avant-projet de Constitution au Président de la transition, Mamadi Doumbouya, le 26 juin 2025, a relancé le débat politique et juridique autour de ce texte central. Si les autorités vantent une œuvre de « refondation républicaine »; de nombreuses voix – politiques, citoyennes, et universitaires s’élèvent pour dénoncer une démarche biaisée et des risques de dérive autoritaire. 

Un projet salué par la mouvance présidentielle; mais jugé incomplet et critiqué par l’opposition

Certaines entités proches du pouvoir ou engagées dans un dialogue avec le Conseil national de la transition (CNT) adoptent une posture de soutien critique. C’est le cas de l’Union sacrée des Forces vives de Guinée, qui salue le travail du CNT, mais insiste sur la nécessité de réintégrer dans le texte des dispositions de la Charte de la transition, notamment les articles 46, 55 et 65. Ces articles interdisent aux membres de la junte, du gouvernement et du CNT de se présenter aux prochaines élections. L’Union sacrée plaide aussi pour :

Le parti UNPG (Union des Patriotes de Guinée), dirigé par François Lounceny Fall, adopte un ton technique et prudent. Il salue la dynamique engagée, tout en exprimant ses inquiétudes face à la généralisation des candidatures indépendantes à tous les niveaux. Selon lui, leur prolifération, sans encadrement institutionnel ni expérience politique, pourrait affaiblir la gouvernance locale.

Au sein de l’opposition, la désapprobation est largement partagée. L’un des premiers points de contestation tient à la méthode de rédaction de l’avant-projet. Des voix comme celle d’Aliou Bah, président du MoDeL (Mouvement Democratique Liberal), dénoncent une élaboration « entre quatre murs », sans véritable consultation nationale ni participation inclusive des partis politiques et des forces sociales. 

La coalition ANAD (Alliance Nationale pour l’Alternance Democratique), dirigée par Cellou Dalein Diallo, s’inscrit dans ce même cadre. Elle dénonce un texte rédigé pour permettre à l’actuel Chef d’Etat, Mamadi Doumbouya, de se présenter à la prochaine élection présidentielle, en violation de ses engagements initiaux. Elle exige le rétablissement explicite de l’inéligibilité des membres de la junte, et critique une démarche jugée fermée, sans implication réelle des forces politiques majeures.

Le RPG Arc-en-ciel, ancien parti au pouvoir, va plus loin. Il rejette catégoriquement l’avant-projet, accusant le processus d’être « manipulé et interminable », avec une confusion des rôles entre gouvernement et CNT. 

Du côté de l’UFD (Union des forces démocratiques), Mamadou Bah Baadiko fustige une Constitution « rétrograde, floue et antidémocratique ». Il critique la création d’un Sénat inutile et budgétivore, l’introduction de notions floues comme les « provinces », et l’opacité entourant les conditions médicales requises pour les candidats à la présidence.

Une société civile très sceptique sur le processus

Plusieurs figures de la société civile remettent en cause à la fois le contenu du texte et le cadre de son élaboration. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), par la voix de son responsable des stratégies et planification Sékou Koundouno, qualifie la campagne de vulgarisation du CNT (lancée le 6 novembre 2024) de stratégie de légitimation déguisée en faveur de Mamadi Doumbouya. Il évoque une manœuvre semblable à celle ayant précédé le troisième mandat d’Alpha Condé. Il accuse également le CNT d’avoir vidé de sa substance la limitation du nombre de mandats et d’avoir taillé un texte « à la mesure du pouvoir en place ».

Son camarade Ibrahima Diallo, aujourd’hui en exil, affirme que le véritable enjeu est la candidature éventuelle de l’actuel président Mamadi Doumbouya, en contradiction avec ses engagements initiaux. Il appelle à une mobilisation citoyenne, non pas sur le texte, mais sur la légitimité du processus lui-même.

Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des Forces sociales de Guinée, dénonce pour sa part un texte « copié-collé » sans innovation réelle. Il critique l’absence d’une vision globale de la transition, le gaspillage des ressources publiques, et une campagne de vulgarisation assimilée à une opération de propagande. Il estime que le CNT a agi « en dehors de tout cadre inclusif » et accuse son président Dansa Kourouma d’avoir « manipulé les principes républicains à des fins personnelles ».

L’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), elle, recentre le débat sur la non-application récurrente des lois. Elle souligne que le problème en Guinée n’est pas le texte en lui-même, mais l’absence de volonté politique pour le respecter.

Les juristes entre saluts partiels et critiques pointues

Parmi les universitaires et juristes, les positions sont nuancées mais souvent critiques. Le constitutionnaliste Dr Galissa Hady Diallo salue plusieurs avancées du texte, telles que :

Mais il alerte sur :

Il suggère une refonte du rôle du Sénat, une clarification du statut de l’environnement, et une redéfinition plus rigoureuse de la haute trahison, incluant les atteintes à l’unité nationale.

Me Pépé Antoine Lamah, Dr Mouhamadou Diallo avocats au barreau de Guinée et d’autres praticiens soulèvent également des risques juridiques d’impunité, notamment dans l’article 74 qui accorde une immunité civile et pénale aux anciens chefs d’État pour les actes posés dans « l’exercice régulier de leurs fonctions ». Ils insistent sur la nécessité d’une interprétation stricte du terme « régulier », afin d’éviter qu’il ne serve de prétexte à l’irresponsabilité pénale.

Une légitimité encore à conquérir

Si les autorités, notamment le CNT présidé par Dansa Kourouma, insistent sur le caractère participatif et consensuel du projet, les critiques rappellent que plusieurs partis majeurs (dont l’UFDG et le RPG) ont boycotté la remise officielle du texte. 

La date du référendum constitutionnel, fixée au 21 septembre 2025, s’annonce donc comme un test crucial pour la légitimité du processus lui-même.

Exit mobile version