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Guinée-Bissau : comment la diversité ethnique redevient un enjeu sensible des élections couplées

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À la veille de la présidentielle du 23 novembre 2025, la Guinée-Bissau voit ses principaux candidats multiplier les messages de cohésion et d’apaisement. Dans un pays marqué par une forte diversité ethnique, les acteurs politiques tentent d’éviter que la compétition électorale ne ravive des sensibilités identitaires, alors même que le contexte institutionnel reste fragile et que certaines décisions suscitent débats et frustrations.

La campagne électorale ravive inévitablement les interrogations sur la manière dont la diversité ethnique – Balantes, Pepels, Mancagnes, Mandingues, Fulas, Beafadas ou encore Bijagós – peut être perçue ou instrumentalisée dans le débat politique. Aucun épisode majeur de tensions n’a été signalé, mais plusieurs signaux montrent que les acteurs politiques restent conscients de cette sensibilité.

À Bissau, les candidats multiplient les déclarations publiques invitant à préserver la cohésion sociale. Le président sortant, Umaro Sissoco Embaló, candidat à sa propre succession, a récemment appelé la population à « une campagne pacifique, dans l’unité », rappelant que « le pays ne peut avancer que si tous regardent dans la même direction ». Un appel qui rejoint les discours de Fernando Dias Da Costa, candidat de la plateforme PAI–Terra Ranka, qui promet une « Guinée-Bissau stable, prospère et inclusive » où « personne n’est laissé de côté ». Ces formulations révèlent une préoccupation partagée : éviter que la compétition politique ne ravive des clivages latents.

Le paysage électoral lui-même contribue à cette atmosphère particulière. Douze candidats ont été initialement validés par la Cour suprême pour la présidentielle, mais Siga Batista s’est finalement retiré pour soutenir Fernando Dias da Costa. L’absence remarquée de Domingos Simões Pereira, figure majeure du PAIGC dont la candidature n’a pas été retenue, alimente discussions et frustrations au sein d’une partie de l’opposition. Dans un pays où les alliances politiques reposent souvent sur des équilibres entre régions et communautés, ce type de décision peut être interprété comme un facteur de polarisation supplémentaire.

Historiquement, la diversité ethnique bissau-guinéenne est plus une richesse qu’un problème. Cependant, comme dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, les périodes électorales peuvent contribuer à créer une fracture. Les mobilisations politiques reposent parfois sur des réseaux communautaires, et les rivalités entre partis peuvent être perçues – à tort ou à raison – comme liées à des appartenances identitaires. L’expérience passée montre que les tensions politiques, lorsqu’elles émergent, trouvent souvent un écho dans les sensibilités locales.

Les réseaux sociaux constituent un espace où s’expriment des frustrations identitaires plus vives. Ces dernières semaines, plusieurs vidéos et publications en portugais ont circulé, mettant en avant le sentiment, chez certains groupes, d’être injustement ciblés par des politiques. Dans l’une de ces vidéos, présentée comme un message d’“anciens Balanta”, des intervenants dénoncent ce qu’ils considèrent comme « des arrestations arbitraires et systématiques contre des officiers militaires balanta », affirmant que « chaque fois qu’un coup d’État est évoqué, ce sont les Balanta qui sont accusés ». Le discours va jusqu’à mettre en garde contre d’éventuelles « réactions » si de nouvelles arrestations de membres de cette communauté surviennent.

D’autres publications, au ton tout aussi accusateur, réactivent des épisodes historiques sensibles, notamment les assassinats en 2009 du président João Bernardo “Nino” Vieira et du chef d’état-major Tagme Na Wai. Dans certains textes viraux, le président Embaló est accusé – sans fondement judiciaire – d’avoir joué un rôle dans ces événements, ou d’être responsable de violences visant plusieurs communautés. Une publication liste même 47 personnes, majoritairement Balanta, présentées comme des victimes de persécutions politiques passées. Ces contenus ne reflètent pas la position d’institutions officielles, mais ils témoignent de la persistance de récits communautaires qui trouvent un écho particulier en période électorale.

Pour plusieurs observateurs, ce type de discours souligne la nécessité pour les candidats de maintenir un ton d’apaisement. En insistant sur l’unité, ils cherchent à désamorcer toute tentative de manipulation des clivages ethniques. Les organisations de la société civile, les chefs religieux et traditionnels ont, eux aussi, multiplié les appels à la prudence, rappelant que la stabilité du pays repose sur la capacité des acteurs politiques à éviter les discours susceptibles de créer ou d’exacerber les divisions.

Cette prudence trouve ses racines dans l’histoire politique récente. Depuis l’indépendance en 1974, la Guinée-Bissau a connu plusieurs coups d’État, des rivalités persistantes entre élites civiles et militaires, une multiplication de partis politiques et une alternance chaotique des coalitions au pouvoir. Ces crises, davantage politiques que communautaires, ont néanmoins entretenu l’idée que toute division interne peut fragiliser davantage les institutions. Les élections de 2019 et 2023 avaient déjà été marquées par des contestations et des tensions post-électorales.

À l’échelle régionale, la CEDEAO et l’Union africaine suivent de près ce cycle électoral, appelant depuis plusieurs mois à un processus transparent et inclusif. Dans une sous-région fragilisée par les crises politiques au Sahel, en Gambie et en Guinée, la stabilité bissau-guinéenne constitue un enjeu majeur.

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