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Dr Mouhamadou Diallo est titulaire d’un doctorat en droit public obtenu à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 2019. Enseignant-chercheur à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry, avocat inscrit au barreau de Guinée, consultant et ancien conseiller juridique au ministère du Commerce, de l’Industrie et des PME, il est également auteur de plusieurs publications dans des revues spécialisées. Très actif dans le débat public, notamment sur les réseaux sociaux, il livre ici son analyse sur le projet de nouvelle Constitution qui sera soumis au référendum du 21 septembre 2025. Entretien
Question : De manière générale, quelle appréciation faites-vous du projet de nouvelle Constitution?
Dr Mouhamadou Diallo : Sur le plan juridique, à l’image des constitutions démocratiques, ce projet contient des éléments indispensables : la forme de l’État, la structure du gouvernement, la consécration des droits et libertés fondamentaux, la création et l’organisation des pouvoirs publics ainsi que la définition de leurs rapports dans l’exercice de leurs fonctions respectives.
Cependant, comme toute constitution, le texte présente des faiblesses, notamment son caractère laconique et certaines imprécisions. L’article 74, par exemple, peut être source d’interprétations divergentes et de controverses.
Question : L’une des nouveautés majeures du projet est l’instauration d’un Parlement bicaméral, composé de l’Assemblée nationale et d’un Sénat, qui aurait notamment pour rôle d’émettre un avis sur certaines nominations stratégiques. Juridiquement, la Guinée avait-elle besoin d’une seconde chambre ?
Dr Mouhamadou Diallo : Juridiquement, tout dépend de la volonté du peuple souverain. Mais la question est surtout de savoir si, politiquement, économiquement et socialement, la Guinée a besoin d’un Parlement bicaméral.
Ma réponse est oui. Depuis la prise du pouvoir par le CNRD et la suspension de la Constitution de 2020, j’ai toujours soutenu le bicamérisme, compte tenu de la diversité ethnique et culturelle du pays. L’idée est que le Sénat puisse représenter ces diversités pour renforcer la volonté de vivre ensemble.
Le seul décalage avec ce que j’espérais concerne la composition : ce Sénat représentera les collectivités décentralisées et les secteurs socioprofessionnels. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais il faudra veiller à ce que la loi organique fixant les modalités d’accession ne soit pas dénaturée par la partisanerie ou le communautarisme.
L’article 110 du projet prévoit que le Président de la République désigne un tiers des membres, choisis parmi les entités socioprofessionnelles les plus représentatives et des personnes ressources compétentes. Cette formulation laisse la porte ouverte à des choix par affinité, faute de critères objectifs. En Guinée, parler de « personnes ressources compétentes » peut facilement se traduire par des nominations fondées sur les relations ou la parenté.
Question : Quelles plus-values un Sénat pourrait-il réellement apporter au fonctionnement institutionnel, et existe-t-il un risque de chevauchement avec l’Assemblée nationale ?
Dr Mouhamadou Diallo : Le Sénat permettrait d’impliquer les entités représentées dans les décisions à fort enjeu national, celles qui concernent directement les populations.
Pour ce qui est d’un éventuel chevauchement avec l’Assemblée nationale, je n’en vois pas. Les domaines de compétences et les procédures sont clairement définis. Chacune des deux chambres resterait dans son cadre.
Question : La durée du mandat présidentiel passe de 5 à 7 ans. Est-ce juridiquement pertinent et conforme aux standards internationaux ?
Dr Mouhamadou Diallo : La pertinence de la durée du mandat dépend de l’esprit qui a motivé ce choix, et non de sa longueur.
Concernant la conformité aux standards internationaux, oui, car aucun texte universel n’encadre la durée des mandats présidentiels. Certains pays ont même des monarchies constitutionnelles où les dirigeants règnent à vie.
À mon avis, sept ans est une durée convenable et raisonnable. Elle permet une exécution plus rationnelle des politiques publiques, depuis leur conception jusqu’à leur mise en œuvre. Cinq ans peut parfois être trop court, surtout si l’on considère le temps nécessaire à la prise de fonctions et à la préparation des prochaines élections.
Question : Dans l’avant-projet, la limitation des mandats était formulée de manière très stricte : “nul ne peut de sa vie effectuer plus de deux mandats, consécutifs ou non”. Dans le projet final, cette mention a disparu au profit d’une formulation plus classique. Selon vous, cette suppression constitue-t-elle un affaiblissement du verrou constitutionnel ?
Dr Mouhamadou Diallo : Oui. L’article 44 dispose simplement que le mandat est de sept ans, renouvelable une seule fois. Juridiquement, cela signifie qu’un président ayant accompli deux mandats pourrait, après une interruption, se représenter et redevenir président.
La formulation « nul ne peut exercer plus de deux mandats » était plus claire et empêchait définitivement ce genre de contournement.
Question : L’ancienne rédaction était-elle plus contraignante, ou bien la version actuelle reste-t-elle juridiquement suffisante pour prévenir toute tentative de contournement ?
Dr Mouhamadou Diallo : L’ancienne version était incontestablement plus contraignante. Elle était plus explicite et fermait la porte à toute interprétation.
Question : L’article 74, très débattu dans l’opinion, prévoit que les anciens présidents de la République bénéficient d’une immunité civile et pénale pour les actes accomplis dans “l’exercice régulier de leurs fonctions”. Certains estiment que cette formulation présente un risque d’impunité. Quelle est votre interprétation de cette disposition ? Peut-elle être perçue comme une protection excessive ?
Dr Mouhamadou Diallo : Cet article pose problème. Le terme « régulier » dans « l’exercice régulier des fonctions » est ambigu. Agir légalement ne peut pas engager une responsabilité civile ou pénale. Si tel est le sens, alors la mention est inutile.
Mais si ce passage vise à exonérer d’éventuelles fautes commises dans l’exercice des fonctions, il devient dangereux. Cela ouvrirait la voie à une irresponsabilité pénale et civile pour des actes délictueux, ce qui serait contraire aux principes de bonne gouvernance et de transparence.
Question : Le projet introduit la candidature indépendante. Le texte encadre-t-il clairement cette innovation, ou des zones d’ombre demeurent-elles ?
Dr Mouhamadou Diallo : Le projet encadre partiellement cette nouveauté et renvoie à une loi organique pour les détails. L’article 45 précise qu’une candidature indépendante est possible, à condition de respecter les critères de parrainage.
Autrement dit, disposer de moyens financiers et matériels ne suffit pas. Il faut aussi prouver une représentativité nationale, conditionnée par l’encadrement juridique du parrainage.
Question : Le projet garantit la gratuité et l’obligation de l’éducation jusqu’à 16 ans. Sur le plan juridique, ces engagements créent-ils une véritable contrainte pour l’État, ou relèvent-ils surtout de l’affichage politique ?
Dr Mouhamadou Diallo : L’éducation est déjà gratuite en Guinée et relève du service public. Rendre l’école obligatoire jusqu’à 16 ans me paraît irréaliste dans les conditions actuelles.
L’État devrait d’abord améliorer les conditions de vie, créer des emplois décents, assurer une meilleure répartition des richesses et renforcer la qualité du système éducatif. Sans cela, de nombreux enfants quitteront toujours l’école pour aider leur famille.
Ces dispositions constitutionnelles donnent un cadre légal et une orientation, mais elles relèvent davantage d’une déclaration d’intention que d’une garantie effective.
Question : Plusieurs acteurs politiques et sociaux réclament la réintégration, dans le projet de Constitution, des articles 46, 55 et 65 de la Charte de la transition, qui interdisent aux membres de la junte, du gouvernement et du CNT de se présenter aux prochaines élections. Juridiquement, est-il possible d’inscrire une telle clause dans la Constitution ?
Dr Mouhamadou Diallo : Oui, c’est tout à fait possible. Rien ne l’empêche en droit. Il suffisait d’indiquer que ces dispositions de la Charte de la transition sont reconduites.
Question : Le projet de nouvelle Constitution est présenté comme une évolution de l’avant-projet, qui constituait le document initial. Juridiquement, le processus de rédaction de cet avant-projet a-t-il respecté les normes et standards en matière d’élaboration constitutionnelle ?
Dr Mouhamadou Diallo : Deux procédés existent pour l’élaboration d’une constitution : les procédés démocratiques et les procédés non démocratiques. Dans le cas guinéen, le processus suivi s’inscrit dans une démarche démocratique, puisque le texte est soumis au peuple souverain par référendum.
Des consultations et rencontres ont eu lieu, et l’avant-projet comme le projet ont été publiés pour diffusion. Le projet a même été publié au Journal officiel, ce qui est rare ailleurs. Cette transparence vise à éviter les dérives, comme en 2020, lorsque la Constitution promulguée différait de celle soumise au vote.
Question : Le fait que les rédacteurs de ce premier document n’aient pas été publiquement identifiés pose-t-il un problème au regard du droit ? Existe-t-il des dispositions légales ou des pratiques comparées qui imposent la transparence sur l’identité des rédacteurs d’un texte constitutionnel ?
Dr Mouhamadou Diallo : Les rédacteurs étaient connus : c’est le Conseil national de la transition (CNT) qui en avait la charge, notamment sa Commission Constitution et lois. Sa composition est publique et identifiable.
À ma connaissance, il n’existe aucune règle imposant de rendre publique l’identité des rédacteurs. L’essentiel est que le texte soit diffusé et soumis à l’approbation du peuple.
Question : Enfin, si vous deviez recommander trois amendements prioritaires pour améliorer le texte, lesquels proposeriez-vous ?
Dr Mouhamadou Diallo : Premièrement, introduire clairement la disposition : « Nul ne peut faire plus de deux mandats, consécutifs ou non ».
Deuxièmement, ramener l’âge minimal pour être candidat à la présidence à 35 ans et supprimer la limite d’âge fixée à 80 ans.
Troisièmement, revoir la composition de la juridiction constitutionnelle. Les critères actuels, notamment l’âge minimal de 40 ans, excluent de nombreux juristes compétents.




