République de GuinéeExplainers

Fake news, réseaux sociaux et élections : la Guinée face au désordre informationnel

Getting your Trinity Audio player ready...

La Guinée face au désordre informationnel multiforme durant la campagne référendaire de septembre 2025. Contenus sortis de leurs contextes, rapports fabriqués grâce à l’intelligence artificielle et discours de haine prolifèrent dans un espace médiatique fragilisé par la fermeture de médias privés. Journaliste reconnu, lauréat de plusieurs distinctions et co-fondateur de GuinéeCheck, Sally Bilaly Sow est considéré comme l’un des principaux acteurs de la lutte contre les infox en Guinée. Il décrypte ici ces mécanismes et alerte sur leurs conséquences pour la démocratie et la confiance dans les institutions.

Question : Quelle est la situation en Guinée s’agissant du désordre informationnel ?

Sally Bilaly Sow : La situation du désordre informationnel en Guinée est multiforme. D’abord, nous assistons à un rétrécissement de l’espace de l’information traditionnelle, dû à la fermeture de certains médias privés depuis mai 2024. Cela fait qu’aujourd’hui, même si d’autres médias continuent d’exister, ceux qui ont été fermés comptaient parmi les plus influents.

Conséquence : il y a désormais une véritable bataille de récits sur les réseaux sociaux, une bataille de narratifs entre de nombreux acteurs. La situation se présente donc ainsi.

Question : Quels types de fake news observez-vous le plus souvent dans le cadre de cette campagne référendaire ? Quelles thématiques dominent le plus ?

Sally Bilaly Sow : Durant la campagne référendaire, nous avons observé trois grands types de fake news.

Premièrement, il y a les contenus décontextualisés. Beaucoup d’acteurs actuels de la transition – le Premier ministre ou certains membres du gouvernement – étaient hier dans l’opposition, voire dans la société civile. Il y a donc une sorte de “VAR numérique” sur le web : on exhume de vieux propos pour rappeler qu’à un moment de l’histoire, ils avaient tenu tel ou tel discours. Parfois, ces propos semblent liés à la campagne référendaire, mais replacés dans leur contexte, on se rend compte qu’ils datent d’une autre époque.

Par exemple, des propos ont récemment été attribués à l’actuel Premier ministre Amadou Oury Bah, laissant entendre qu’il appelait au boycott du référendum du 21 septembre. En réalité, ces propos remontent au référendum constitutionnel de mars 2020, lorsqu’il était dans l’opposition et membre du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). C’est typiquement une citation sortie de son contexte, mais qui circule comme une déclaration actuelle, récente.

Deuxièmement, nous avons assisté à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Depuis plusieurs mois, la Guinée traverse une crise de liquidité, notamment dans les banques primaires. Dans ce contexte, un document attribué au Fonds monétaire international (FMI) a circulé sur les réseaux sociaux et dans certains groupes WhatsApp. Il annonçait une hyperinflation imminente en Guinée. Après vérification, ce rapport n’existe nulle part. Le ministre du Budget a démenti, et des économistes ont expliqué la procédure : avant toute publication officielle du FMI, il y a des étapes bien précises. On voit donc bien qu’il s’agissait d’un faux rapport, fabriqué de toute pièce.

Enfin, il y a aussi des discours de haine et des messages véhiculés dans des vidéos en direct, notamment sur Facebook Live ou TikTok, souvent en langues locales. Les algorithmes de ces plateformes — Facebook, TikTok, etc. — ont du mal à identifier et filtrer ces contenus, car ils ne reconnaissent pas nos langues locales. Résultat : ces discours passent sous les radars et alimentent la désinformation.

On peut donc dire que cette campagne référendaire est marquée par un triptyque : contenus décontextualisés, faux documents (notamment créés avec l’IA), et discours de haine. Tout cela prospère dans un contexte électoral tendu, avec l’interdiction de partis politiques et d’organisations de la société civile, qui fragilise encore l’espace informationnel en Guinée.

Question : D’après vos observations, quels sont les profils principalement à l’origine des fausses informations et de la manipulation informationnelle ?

Sally Bilaly Sow : Pour le moment, il est trop tôt pour attribuer ces campagnes de désinformation à une entité précise. Ce qui est clair, c’est que cela vient de tous les côtés. Nous n’avons pas encore détecté d’ingérence étrangère. 

De notre côté, nous restons vigilants et attentifs. Nous renforçons notre veille informationnelle pour détecter, anticiper et répondre aux opérations de désinformation, mais aussi aux éventuelles campagnes d’ingérence informationnelle. Car les périodes électorales, marquées par la rupture du dialogue politique et de fortes tensions, sont particulièrement favorables à la désinformation et même à la sous-traitance informationnelle, avec des acteurs internes manipulés par des acteurs externes.

Question : Selon votre constat, quelles sont les entités ou personnalités les plus visées par ces fausses informations ?

Sally Bilaly Sow : Les fake news visent principalement les acteurs politiques. On retrouve par exemple des cas touchant Cellou Dalein Diallo ou l’ancien président Alpha Condé. Il arrive que des éléments de désinformation circulent massivement à leur sujet. Mais attention : en les vérifiant systématiquement, on risque parfois de les amplifier. C’est pourquoi certaines de ces rumeurs sont mises sous observation avant d’être traitées, au cas où elles deviendraient virales.

D’autres personnalités sont également ciblées : des membres du gouvernement, des acteurs de la société civile parfois accusés d’être « à la solde de l’Occident », ou encore le président de la transition, dont le profil est parfois détourné à des fins de manipulation.

Pour le moment, cela reste relativement marginal, comparé à la campagne présidentielle de 2020. On constate aussi une évolution : en 2020, les campagnes ciblaient beaucoup plus directement les candidats. Cette fois, les personnalités sont moins ciblées, car il s’agit d’un référendum et non d’une présidentielle. Peut-être qu’aux prochaines élections présidentielles ou législatives, on pourra dresser un portrait plus clair des acteurs spécifiquement visés.

Question : Des médias sont-ils impliqués, volontairement ou non, dans la diffusion de fausses informations liées au référendum ?

Sally Bilaly Sow : Nous n’avons pas observé de médias directement impliqués dans le relais de campagnes de désinformation. En revanche, il existe un problème autour des publireportages. Beaucoup de médias ont des partenariats avec des ministères ou d’autres acteurs politiques, et diffusent des contenus payés sans toujours préciser qu’il s’agit de publireportages.

Or, si cette précision n’est pas faite clairement au début ou à la fin de l’article, le citoyen peut confondre avec une information journalistique classique. Cela renforce la méfiance envers les médias et entretient la confusion. C’est une question essentielle, qui mérite l’attention des professionnels de l’information, car elle affecte la confiance du public.

La HAC a rappelé aux médias privés leur obligation de neutralité et a récemment  suspendu certains organes de presse. Selon vous, est-ce que ce contexte favorise indirectement la désinformation en poussant le débat vers les réseaux sociaux ?

Oui, nous l’avons constaté. Quand certains journalistes ou médias ont peur de s’exprimer, de traiter certains sujets, ou craignent d’être sanctionnés, cela ouvre l’espace à d’autres acteurs, souvent porteurs de désinformation.

La neutralité, en tant que telle, n’existe pas. C’est un concept philosophique. En revanche, la vérité des faits, elle, existe. À mon avis, le journalisme, c’est avant tout le respect des faits. Si les journalistes restent rigoureux sur les faits, ils ne devraient pas avoir de problème.

Mais aujourd’hui, du fait de la pression, certains médias pratiquent une forme d’autocensure. Cela ouvre l’infosphère guinéenne à un envahissement par la désinformation. Le problème est aggravé par le modèle économique des médias, largement dépendant des publireportages et de la publicité. Si un média perd son audience ou ses annonceurs, il risque de fermer. Cela incite certains à éviter des sujets sensibles et laisse la place à des contenus inauthentiques qui prolifèrent sur les réseaux sociaux.

Question : Avez-vous observé une intensification ou une transformation des pratiques de désinformation par rapport aux campagnes électorales précédentes ?

Sally Bilaly Sow : Oui. Déjà en 2020, nous avions observé beaucoup de désinformation. Mais depuis, le taux de pénétration d’Internet a augmenté et les pratiques ont évolué. En 2020, l’intelligence artificielle n’était pas encore à la portée du grand public. Aujourd’hui, n’importe qui peut créer un faux contenu en quelques minutes.

Nous voyons aussi de nouvelles stratégies, comme les campagnes d’astroturfing, qui consistent à fabriquer de toutes pièces un événement pour le faire passer comme spontané, puis l’amplifier artificiellement.

La multiplication des plateformes accentue ce phénomène. En 2020, les débats se concentraient surtout sur Facebook et Twitter (aujourd’hui X). En 2025, beaucoup de jeunes se sont déplacés vers TikTok, Snapchat ou Instagram. Cela change les pratiques et oblige à adapter la veille informationnelle.

Avec l’accessibilité des smartphones à bas coût et la diffusion massive des contenus, la désinformation est devenue plus facile à produire, à partager et à amplifier. On peut s’attendre à ce que cela s’intensifie encore lors des prochaines élections.

Question : Quels effets ces fausses informations ont-elles sur l’opinion publique ?

Sally Bilaly Sow : Les fake news fabriquent des opinions biaisées et constituent une menace pour la démocratie, la paix et le vivre-ensemble. Avec le recul de la lecture, notamment chez les jeunes, et l’émergence des outils d’IA détournés de leur usage initial, la situation est préoccupante.

Le plus grave, c’est lorsque la désinformation sape la crédibilité des institutions, en particulier celles chargées d’organiser les élections. Si les citoyens pensent que les institutions sont partiales ou corrompues, ils perdront confiance dans le processus électoral, n’iront pas voter et boycotteront les scrutins. Cela mine directement la démocratie.

Question : Comment vous organisez-vous à GuinéeCheck pour détecter et contrer ces fausses informations ?

Sally Bilaly Sow : À GuinéeCheck, nous sommes une équipe pluridisciplinaire. Nous avons une veille permanente sur les plateformes numériques grâce à des outils internes, mais aussi grâce aux signalements des citoyens. Nous faisons du pré-bunking, nous apportons du contexte dans nos articles, et nous travaillons en réseau.

Nous avons développé des partenariats avec certains médias traditionnels, qui reprennent nos contenus et amplifient nos vérifications. Nous produisons aussi des contenus en langues locales et utilisons WhatsApp et le podcasting pour toucher le public.

Question : Quelles méthodes utilisez-vous concrètement ?

Sally Bilaly Sow : Notre méthode est transparente et disponible sur notre site : détection, confrontation, vérification, pédagogie, rectification en cas d’erreur. Si nous nous trompons, nous corrigeons publiquement. Car pour combattre la défiance, il faut être transparent. 

Nous menons également des campagnes de sensibilisation et d’éducation aux médias, en particulier auprès des jeunes et dans les quartiers populaires, pour renforcer l’esprit critique et rappeler la responsabilité de chacun dans le partage de l’information.

Question : Selon vous, quelles mesures ou réformes seraient nécessaires pour mieux protéger les processus électoraux en Guinée contre la désinformation à l’avenir ?

Sally Bilaly Sow : Je ne suis pas partisan d’une législation répressive contre les fake news, car la perception de ce qui est vrai ou faux peut être subjective. Ce qui est essentiel, c’est d’abord de garantir l’accès à l’information publique pour les fact-checkers et les journalistes.

Il faudrait créer dans les cellules de communication du gouvernement des entités capables de répondre rapidement aux demandes de vérification. Car l’absence de réponse alimente la désinformation.

Il faut aussi renforcer la collaboration entre les acteurs : fact-checkers, société civile, médias et État. La lutte contre la désinformation est évolutive : les techniques changent, les pratiques s’adaptent. Aucun acteur ne peut lutter seul.

Enfin, je propose que lors des prochaines élections, les candidats signent un pacte pour l’intégrité de l’information. Cela permettrait d’encadrer leurs pratiques, de prévenir les campagnes de manipulation et d’assurer une compétition électorale plus saine. Car au-delà de l’intégrité du processus électoral, c’est l’intégrité de l’information elle-même qui doit être protégée.

Show More

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button
Translate »