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Entre blocage de comptes bancaires, réclamation de paiement des dettes fiscales et de redevances de près de 40 milliards FCFA (environ 60 millions d’euros), suspension de conventions liant des départements ministériels et structures étatiques à des médias, « la presse sénégalaise vit une des phases les plus sombres de son histoire » selon le Conseil des diffuseurs et éditeurs de la presse du Sénégal (CDEPS). Une journée sans presse a d’ailleurs été observée le 13 août.
Aujourd’hui, les signaux sont alarmants pour la plupart des groupes de presse privés sénégalais. Des démissions en cascade de journalistes et une suspension de la parution de plusieurs quotidiens montrent le malaise dans lequel baigne ce secteur. Ce dernier résulte d’un ensemble de facteurs notamment structurels.
« La crise actuelle de la presse découle principalement de la pandémie de Covid-19, qui a entraîné une baisse significative des revenus des entreprises de presse. Pendant la période de Covid-19, ces entreprises ont perdu plus de 70 % de leur chiffre d’affaires», explique le président du CDEPS. Mamadou Ibra Kane précise que : « contrairement à d’autres secteurs, la presse n’a pas bénéficié du fonds d’aide de 1 000 milliards de FCFA (environ 1,523 milliards d’euros) mis en place par le gouvernement. Cette situation a motivé un plan de réforme proposé par le patronat pour permettre à la presse de redevenir viable économiquement et de retrouver son indépendance. Malheureusement, celui-ci n’a pas prospéré ».
Tout en reconnaissant le caractère structurel de la crise que traverse la presse privée, M. Kane pointe également du doigt les mesures prises par le nouveau régime du président Bassirou Diomaye Faye à l’endroit des entreprises de presse, notamment la non application de l’effacement de la dette fiscale de près de 40 milliards de francs CFA, soit un peu plus de 60 millions d’euros, promis par l’ancien président Macky Sall, qui n’a jamais été formalisé et que les nouvelles autorités n’ont pas reconnu.
« Les entreprises de presse ont été confrontées à des poursuites pour le paiement de leurs dettes fiscales. Certaines ont même vu leurs comptes bloqués ou ont été soumises à des procédures de saisie. Le nouveau régime a aussi unilatéralement annulé les contrats publicitaires signés entre les entreprises de presse et les structures publiques. Cela a créé des tensions et des difficultés supplémentaires pour les médias », déplore M. Kane, ajoutant qu’« il y a une sorte de volonté politique de liquider la presse privée. »
Le Conseil des éditeurs et diffuseurs de presse du Sénégal (CDEPS) a organisé une Journée Sans Presse le mardi 13 août 2024, pour sensibiliser l’opinion nationale et internationale.
Un dialogue est-il possible ?
Plusieurs journalistes ont été interpellés, en l’occurrence les Directeurs de publication des journaux « La Tribune » et « Le Quotidien » ont été entendus, le 31 mai 2024, par la Section de Recherches avant d’être libérés. Des médias accusent le nouveau gouvernement de s’en prendre à la liberté de la presse au Sénégal, rappelant la sortie acerbe du Premier ministre lors d’une réunion des jeunes cadres de son parti, le Pastef. Le 9 juin 2024 à Dakar, Ousmane Sonko avait déclaré : « On ne va plus permettre que des médias écrivent ce qu’ils veulent sur des personnes, au nom d’une soi-disant liberté de la presse, sans aucune source fiable ».
La controverse de ses propos s’ajoute aux difficultés financières des entreprises de presse. Le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS) exhorte l’État à prendre conscience que « son secteur des médias est en danger ».
Le gouvernement sénégalais a réagi lors du Conseil des ministres du mercredi 14 août 2024. Le Chef de l’Etat a appelé à un dialogue rénové, soulignant que la situation de la presse mérite une attention particulière du Gouvernement et des mesures de redressement appropriées. Il a notamment demandé au ministre de la Communication, d’assurer l’application intégrale du Code de la Presse et le bon fonctionnement des entreprises de presse, dans un esprit d’ouverture et de concertation respectant les cahiers des charges.
Le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, Alioune Sall, a lancé, ce vendredi 16 août 2024, une plateforme dénommée “Plateforme Déclaration médias du Sénégal”. Le ministre demande aux médias de s’enregistrer sur cette plateforme devenue « l’unique référentiel où les entreprises de presse peuvent se faire reconnaître par l’Etat du Sénégal », précise le ministre Alioune Sall.
De son côté, le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de la presse du Sénégal, Mamadou Ibra Kane a réitéré la disponibilité du CDEPS à rencontrer le chef de l’Etat afin de trouver une issue heureuse. Le CDEPS a déjà un plan d’action pour restructurer la presse sénégalaise. Celui-ci comprend entre autres mesures le vote d’une loi sur la publicité, la réforme de la formation des journalistes, le vote d’une loi d’accès à l’information et d’une loi sur une fiscalité propre au secteur des médias, ainsi qu’un financement bonifié du crédit.