Getting your Trinity Audio player ready...
|
En Côte d’Ivoire, comme ailleurs, les observateurs électoraux jouent un rôle essentiel dans la garantie de la transparence, de la crédibilité et de l’apaisement du processus électoral. Leur intervention couvre la période préélectorale, le jour du vote, le dépouillement, la proclamation des résultats, etc.
L’observation électorale a été reconnue pour la première fois en Côte d’Ivoire par le décret n°95-815 du 29 septembre 1995, adopté à la veille des élections présidentielles et législatives de la même année. Ce texte a institué la possibilité pour des organisations nationales et internationales d’observer le déroulement d’un scrutin ivoirien. L’objectif était de renforcer la transparence et la crédibilité d’un processus encore fragile, alors que le pays sortait de plusieurs décennies de parti unique.
L’encadrement de l’observation électorale s’est affiné avec la création de la Commission électorale indépendante (CEI) en 2001. Depuis, l’institution délivre les accréditations nécessaires à toute mission, nationale ou internationale. Cette formalisation repose aujourd’hui sur la Charte de l’observation des élections en Côte d’Ivoire.
Ce document fixe les principes de neutralité, d’impartialité et de professionnalisme auxquels sont soumis tous les observateurs. Il interdit toute ingérence dans le processus électoral, impose la confidentialité des informations collectées et oblige les organisations accréditées à produire des rapports circonstanciés à la fin de chaque mission. La Charte rappelle également que nul ne peut observer une élection sans l’autorisation expresse de la CEI.
Des acteurs multiples et complémentaires
On distingue généralement les missions nationales conduites par des organisations ivoiriennes, et les missions internationales mandatées par des institutions régionales ou étrangères. En Côte d’Ivoire, les plus connues sont la Plateforme des Organisations de la Société Civile pour l’Observation des Élections en Côte d’Ivoire (POECI), l’organisme gouvernemental de veille, d’alerte et d’aide à la décision en matière de solidarité et de cohésion sociale qui contribue au renforcement de la solidarité et de la cohésion sociale entre les composantes de la nation l’Observatoire de la Solidarité et de la Cohésion Sociale (OSCS), ou encore l’ONG Action Justice. Ces structures jouent un rôle clé, notamment lors des élections locales et présidentielles.
Lors des élections présidentielles d’octobre 2020, la POECI avait déployé 250 observatrices et observateurs sur toute l’étendue du territoire.
Pour les élections municipales et régionales 2023, l’OSCS avait mobilisé 250 observateurs et 27 superviseurs de l’Observatoire de la Solidarité et de la Cohésion sociale (OSCS) dans des lieux de vote répartis dans les 31 régions du pays.
En 2025, Action Justice prévoit le déploiement de 1 050 observateurs à travers tout le territoire pour la présidentielle du 25 octobre.
À ces acteurs nationaux s’ajoutent des missions internationales accréditées par la CEI. Ces délégations apportent un regard extérieur, souvent plus technique, sur le déroulement global du scrutin. Plusieurs missions internationales d’observation électorale sont déjà présentes en Côte d’Ivoire. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a déployé une mission d’observation électorale à long terme, arrivée à Abidjan début octobre. Composée de quinze experts venus de différents États membres, elle a pour mission d’évaluer la préparation du processus électoral, la campagne, ainsi que le climat politique et sécuritaire avant le vote.
D’autres partenaires internationaux s’impliquent également dans le suivi du processus électoral. L’International Republican Institute (IRI) a, pour sa part, conduit du 22 au 26 septembre 2025 une mission d’évaluation pré-électorale à Abidjan. Cette délégation a rencontré plus de 70 acteurs politiques, institutionnels et de la société civile afin d’évaluer les conditions d’un scrutin crédible et inclusif. Son rapport souligne plusieurs défis, notamment les tensions autour de la validation des candidatures et la transparence du processus d’inscription sur la liste électorale.
Devenir observateur, un processus rigoureux
Devenir observateur électoral ne s’improvise pas. Le processus est strict et se déroule en plusieurs étapes encadrées par la CEI. D’abord, il faut être membre d’une organisation légalement reconnue : ONG, observatoire ou réseau de la société civile et déposer une demande d’accréditation auprès de la Commission. Celle-ci publie, avant chaque scrutin, un communiqué fixant la période de dépôt des dossiers. Pour la présidentielle de 2025, cette période s’est étendue du 26 août au 9 septembre.
Le dossier doit comporter un rapport de formation ou tout autre document justifiant le renforcement des capacités de ses membres, une photocopie de la CNI, ou toute pièce en tenant lieu, du représentant légal, une photographie d’identité en couleur de chaque agent observateur ou sensibilisateur, un exemplaire du rapport de la dernière campagne d’observation/sensibilisation ou un justificatif du dépôt (pour les organisations ayant déjà participé aux opérations précédentes), une copie du récépissé de dépôt de déclaration ou de la publication au Journal Officiel, ainsi qu’une copie des statuts et du règlement intérieur (pour les organisations sollicitant une première accréditation).
Une fois les pièces validées, la CEI délivre une carte d’observateur individuelle et une lettre d’accréditation collective. Sans ce document, aucune observation n’est autorisée.
Avant d’être déployés, les observateurs suivent une formation spécifique, souvent dispensée par des centres régionaux ou des organisations partenaires. Le Centre régional d’appui à la société civile zone Sud (CRASC-Sud), par exemple, a formé en 2025 126 observateurs à court terme et 10 à long terme pour la présidentielle.
Un travail de terrain encadré et méthodique
Sur le terrain, les observateurs sont répartis selon plusieurs profils. Les observateurs de long terme (OLT) suivent la période préélectorale notamment le climat politique, la sécurité, accès équitable aux médias, logistique électorale… Les observateurs de court terme (OCT), eux, se concentrent sur le jour du scrutin et les opérations de dépouillement. Des superviseurs coordonnent les équipes et assurent la remontée rapide des informations vers les sièges régionaux ou nationaux.
Leur mission consiste à observer sans interférer. Ils prennent des notes sur le respect des horaires d’ouverture des bureaux, la présence du matériel électoral, l’accessibilité pour les électeurs, le comportement des agents de vote et des forces de sécurité. À la fin de la journée, ils suivent le dépouillement et transmettent leurs rapports, souvent via des plateformes numériques sécurisées. Ces observations servent ensuite à produire des rapports préliminaires, puis des rapports finaux, contenant des recommandations adressées à la CEI et aux pouvoirs publics.
Ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire
Les observateurs n’ont pas de pouvoir décisionnel. Ils ne valident ni n’invalident les résultats d’une élection. Ils ne peuvent pas interrompre un vote, ni exiger la fermeture d’un bureau. Leur rôle est d’observer, de documenter et de rapporter. Toute ingérence dans la conduite du scrutin serait contraire à la Charte de l’observation.
En revanche, ils ont la responsabilité de signaler toute irrégularité constatée notamment la violence, l’intimidation, l’absence de matériel, le non-respect des procédures, ou restriction d’accès pour les électeurs ou les observateurs eux-mêmes. Certaines organisations, comme la POECI, ont déjà dénoncé des entraves à leur travail en 2018. Lors d’élections locales, plusieurs de ses observateurs ont été empêchés d’accéder à des bureaux à Grand-Bassam et Port-Bouët.
Des défis persistants sur le terrain
Malgré les progrès réalisés, l’observation électorale en Côte d’Ivoire fait face à plusieurs obstacles. Il s’agit notamment du dysfonctionnement des tablettes qui ralentissent quelques fois les opérations dans les bureaux de vote, en témoigne le rapport de la Mission internationale d’observation électorale pour les législatives du 6 mars 2021.
Le second est sécuritaire, notamment dans certaines zones sensibles où des tensions préélectorales peuvent compromettre la présence d’observateurs.
Un rôle déterminant pour la confiance démocratique
Malgré ces limites, le rôle des observateurs reste central. Leurs rapports, rendus publics après chaque scrutin, sont scrutés par les partis politiques, la société civile et les partenaires internationaux. Ils permettent de mesurer les progrès, d’identifier les failles et de formuler des recommandations. Le lundi 6 octobre 2025, l’OSCS a lancé une Mission d’Observation Électorale Proactive (MOEP) couvrant la période de précampagne jusqu’à la proclamation des résultats, afin d’anticiper les tensions et prévenir les violences.
En documentant les bonnes pratiques comme les dysfonctionnements, les observateurs participent à l’amélioration continue du cadre électoral et de la gouvernance démocratique. Ils constituent, en quelque sorte, un miroir impartial tendu à la nation tout entière.
Trente ans après sa formalisation par le décret de 1995, l’observation électorale s’est imposée comme un pilier des élections en Côte d’Ivoire. En veillant à ce que chaque voix compte et que chaque étape soit observée, ces femmes et ces hommes contribuent à ancrer la démocratie ivoirienne dans la transparence et la responsabilité.