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Organisation électorale en Guinée : rupture et craintes après le remplacement de la CENI par la DGE 

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Le 14 juin 2025, un décret présidentiel lu à la télévision nationale (44mn 30s) a officialisé la création de la Direction générale des élections (DGE), un nouvel organe chargé de superviser l’ensemble des scrutins en Guinée. Placée sous l’autorité du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, elle remplace la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui a longtemps incarné la gestion électorale dans le pays.

La création de la DGE s’inscrit dans un contexte de transition politique amorcée par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) après le coup d’État du 5 septembre 2021. Les autorités la présentent comme une réforme destinée à rendre la gestion des élections plus professionnelle et moins politisée, en confiant l’organisation directement à l’administration.

La CENI, une institution longtemps contestée

La CENI, créée à la suite des accords politiques de 2007, avait pour mission d’organiser toutes les élections politiques et les référendums en Guinée. La CENI était composée de représentants de la mouvance présidentielle, de l’opposition, de l’administration et de la société civile. Ce choix de représentativité visait à instaurer un climat de confiance entre acteurs politiques, après des décennies d’élections contestées organisées par le ministère guinéen de l’Administration du territoire.

La CENI a rapidement été critiquée à cause de sa forte politisation et son manque d’impartialité. Dans les faits, ses membres, majoritairement issus des partis politiques, étaient accusés de défendre les intérêts de leurs formations politiques. Des contestations, des accusations de fraude et des violences ont marqué les scrutins organisés par la CENI notamment les présidentielles de 2010, 2015 et 2020 ainsi que les législatives de 2013. Des observateurs nationaux et internationaux avaient à plusieurs reprises recommandé une réforme profonde, en faveur d’un organe plus technique.

La naissance de la Direction générale des élections (DGE), une administration placée sous la tutelle du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation

Le décret du 14 juin 2025 confère à la DGE un rôle central dans l’organisation des élections. Ses missions incluent l’organisation matérielle et technique des scrutins, la révision et la gestion du fichier électoral biométrique, la mise en place et la formation du personnel électoral, la centralisation des résultats et la coordination avec les forces de sécurité pour la protection des bureaux de vote. Elle dispose d’une autonomie financière et d’un statut équivalent à celui d’une direction de l’administration centrale.

L’organe peut aussi émettre des directives pour encadrer la campagne électorale. Le 16 septembre 2025, elle a ainsi rappelé l’interdiction de toute propagande politique (meetings, affichages, communications audiovisuelles ou numériques) à partir du 18 septembre, date de clôture officielle de la campagne référendaire. 

Le directeur général de la DGE est nommé par un décret présidentiel. La DGE est organisée par départements techniques, services d’appui et services déconcentrés aux niveaux régional, préfectoral et communal. Le 17 août 2025, les directeurs régionaux, préfectoraux et communaux ont été officiellement nommés, complétant ainsi l’ossature administrative de la DGE.

Organisation électorale en Guinée : rupture et craintes après le remplacement de la CENI par la DGE 

Source: Direction Générale des Elections Guinée

Les motivations avancées pour la création de la DGE

Selon les autorités de la transition, la DGE répond à la nécessité de rompre avec un modèle devenu source de blocages et de conflits. Le gouvernement met en avant l’argument de la professionnalisation : en retirant la gestion des élections aux partis politiques et en la confiant à un service administratif spécialisé, il s’agirait de garantir une meilleure efficacité et une impartialité.

Certains partisans de cette réforme citent l’exemple d’autres pays de la sous-région, comme le Sénégal, où l’administration du territoire organise les élections sans pour autant être accusée de partialité systématique. Pour ses défenseurs, la CENI, en tant qu’organe politique, n’a pas su remplir son rôle de manière consensuelle et a souvent été paralysée par des rivalités internes.

Réactions contrastées de la classe politique et la société civile

La création de la DGE suscite de vives réactions. Plusieurs partis d’opposition et d’organisations de la société civile dénoncent une décision unilatérale et estiment qu’elle consacre un retour en arrière. Pour eux, replacer l’organisation des scrutins sous la tutelle du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation revient à restaurer un système jadis accusé de manipulations électorales.

Le Bloc libéral de Faya Millimouno, parti d’opposition, parle de « confiscation du processus électoral » par le CNRD, tandis que l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), de l’ancien premier ministre Cellou Dalein Diallo, souligne le paradoxe de confier la gestion des élections à Djenab Touré, directrice générale de la DGE et ancienne cadre de la CENI, alors que le fichier électoral avait été fortement critiqué. 

Le Parti de l’Espoir et pour le Développement National (PEDN) insiste, pour sa part, sur le décalage entre la mise en place de la DGE et les conclusions du dialogue inter-guinéen, qui prévoyait plutôt la mise en place d’un organe technique indépendant de gestion des élections (OTIGE).

La société civile guinéenne a aussi émis des réserves. Le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) a vivement critiqué la création de la DGE et  appelle à l’unité des forces citoyennes pour rejeter cette initiative. Le mouvement considère que cette réforme compromet la transparence et l’indépendance du processus électoral et constitue un recul des acquis démocratiques.

À l’inverse, certains acteurs proches du pouvoir, comme l’ancien ministre sous Alpha Condé, Alhousseyni Makanéra Kaké, estiment que la réforme est nécessaire et que le recours à l’administration nationale n’empêche pas d’organiser des scrutins crédibles.

Une nouveauté porteuse d’enjeux

L’organisation du référendum constitutionnel du 21 septembre est la première mission de la DGE. Cet organe administratif s’est chargé de la révision du fichier électoral et de la mise en place des dispositifs de sécurisation des scrutins. 

Le passage de la CENI à la DGE représente une rupture institutionnelle en Guinée. Si les autorités mettent en avant la recherche d’efficacité et de neutralité, une partie de l’opinion craint que cette réforme ouvre la voie à un contrôle accru du processus électoral par l’exécutif. La réussite ou l’échec de la DGE sera donc scrutée de près, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

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