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Dans une ère où l’information circule à une vitesse fulgurante, le désordre informationnel, un terme regroupant la désinformation, la mésinformation et la malinformation, complexifie de plus en plus les conflits et crises en Afrique de l’Ouest. Les pays comme la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali et le Burkina Faso en sont des exemples frappants.
La désinformation, lorsqu’elle est diffusée à grande échelle, peut avoir des effets dévastateurs sur la société. Elle attise les haines, divise les communautés et sape la confiance dans les institutions. Dans le contexte fragile de pays sortant d’une crise ou en proie à des troubles, elle peut rapidement dégénérer en violence. En Côte d’Ivoire par exemple, le désordre informationnel a gravement affecté le climat politique.
Lors des cycles électoraux de 2020 et 2021, les réseaux sociaux se sont transformés en un vaste terrain de désinformation, selon un rapport de l’Observatoire Ivoirien des Droits de l’Homme (OIDH) et ses partenaires. Le document publié en 2020 avait relevé notamment
- La désinformation basée sur le genre est fréquemment utilisée sur les réseaux sociaux pour attaquer et intimider les femmes politiques en ligne.
- La désinformation sur des allégations selon lesquelles Guillaume Soro planifiait l’assassinat d’Alassane Ouattara.
- La désinformation sur des allégations d’inscription de citoyens non ivoiriens sur les listes pendant la période de révision de la liste électorale.
La divulgation de ce genre de fausses informations, d’images détournées, de vidéos sorties de leur contexte a rendu le climat politique ivoirien très tendu et a favorisé ainsi les discours de haine, des violences et des conflits intercommunautaires.
A titre d’exemple,dans les villes de Bonoua, M’batto, Dabou,Toumodi et Daoukro, la désinformation avait engendré de vives tensions causant des morts et des blessés lors de la présidentielle de 2020.
Des vidéos et photos trafiquées, souvent sorties de leur contexte, comme ces deux exemples ci-dessous, ont été utilisées pour attiser la haine et mobiliser des groupes ethniques contre d’autres.
Les violences électorales enregistrées dans plusieurs localités ivoiriennes ont fait 85 morts et 484 blessés, selon un bilan livré le mercredi 11 Août 2020 par Sidi Tiémoko Touré, le porte-parole du gouvernement ivoirien qui s’exprimait au terme d’un Conseil des ministres présidé par le président Alassane Ouattara, selon l’agence de presse africaine (APA).
La désinformation un cocktail explosif en Guinée, au Mali et au Burkina Faso
Lors des élections présidentielles de 2020 en Guinée, la manipulation de l’information a également aggravé les tensions ethniques. Des rumeurs non fondées et des vidéos falsifiées ont été diffusées pour accuser certains groupes ethniques de conspirer contre d’autres.
En fin septembre 2020, des internautes ont massivement partagé des photos censées montrer des “émissaires” du principal rival d’Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, en train de détruire une route. Mais AFP factuel avait finalement découvert qu’il s’agissait en réalité d’images de manifestants en colère en Afrique du Sud.
D’autres publications sur les réseaux sociaux affirmaient que le gouvernement guinéen planifiait des attaques ciblées contre certaines communautés, ce qui a conduit à des violences intercommunautaires. Cette désinformation a non seulement exacerbé les divisions existantes, mais a également compliqué les efforts de médiation et de résolution pacifique des conflits.
Le Mali, en proie à une insécurité croissante, est un autre exemple de l’impact néfaste du désordre informationnel. Un article publié en janvier 2024 par des chercheurs maliens expliquent que « la désinformation sur les réseaux sociaux au Mali, exacerbée par l’augmentation de l’accès à Internet, pose un défi majeur, influençant l’opinion publique et exacerbant parfois les tensions ». Dans ce contexte de crise sécuritaire, des groupes terroristes armés exploitent la désinformation pour créer la confusion et diviser les populations.
Des messages circulant sur les réseaux sociaux ont été utilisés pour répandre des rumeurs sur des opérations militaires fictives, semant la panique parmi les populations locales et paralysant les efforts de stabilisation. De plus, des vidéos de propagande sont utilisées par les groupes terroristes pour recruter et radicaliser des jeunes vulnérables, ce qui aggrave encore l’instabilité dans le pays.
Le Burkina Faso est confronté à une crise humanitaire sans précédent due aux attaques terroristes. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) estime que 6,3 millions de personnes sont dans le besoin.
Le Burkina Faso est également vulnérable au désordre informationnel. Des rumeurs infondées sur des attaques imminentes ont provoqué des mouvements massifs de populations, exacerbant la crise des déplacés internes. Les corps chargés de la défense et de la sécurité du pays sont également visés par les fake news. Plusieurs messages audios et visuels sur une supposée connivence entre un Commandant de gendarmerie et des groupes terroristes en 2023 avaient poussé la gendarmerie burkinabè à publier un communiqué afin de démentir.
En outre, des informations falsifiées relatives à l’aide humanitaire, telles que la distribution de nourriture empoisonnée par certaines ONG, ont entravé les efforts de secours et ont alimenté la méfiance envers les organisations internationales. Les groupes terroristes opérant au Burkina Faso utilisent les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande et recruter de nouveaux combattants. Une situation qui nuit gravement aux efforts de stabilisation et de reconstruction du pays.
Les défis pour contrer le désordre informationnel
La persistance de la désinformation en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée est un phénomène complexe, et ce, malgré l’existence d’initiatives pour vérifier les faits lancée par des organisations de fact-checking dans ces pays comme la Cellule Anti Fake News et Ivoire Check en Côte d’Ivoire, Benbereverif au Mali, Guinée Check et Faso Check. Ces organisations jouent un rôle important dans la lutte contre les fausses informations, mais plusieurs éléments continuent d’alimenter la propagation de la désinformation. En effet, les contextes politiques instables, les crises socio-économiques, la méfiance envers les institutions et les médias traditionnels, et l’utilisation accrue des réseaux sociaux créent un environnement propice à la désinformation. De plus, les intérêts politiques et économiques, ainsi que les limites des initiatives de fact-checking (manque de ressources, difficultés à atteindre tous les publics, etc.) entravent l’efficacité de la lutte contre le désordre informationnel.
Il est donc crucial de renforcer l’éducation aux médias et à l’information, de promouvoir le journalisme de qualité et de développer des mécanismes de vérification des faits. De plus, les gouvernements et les organisations régionales doivent collaborer pour réguler l’espace numérique et protéger les citoyens contre les méfaits du désordre informationnel. Une réponse concertée, impliquant gouvernements, société civile et médias, est indispensable pour protéger les populations et prévenir l’escalade des conflits.