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Dans un monde où l’accès à l’information est devenu un pilier fondamental de la démocratie et de la transparence, le Sénégal se trouve confronté à un défi de taille : la disponibilité de sources d’information ouvertes et accessibles à tous.
Une source d’information ouverte fait référence à des données, des documents ou des informations qui sont disponibles au public sans restrictions significatives. Ces sources sont généralement accessibles en ligne et peuvent être consultées, utilisées et partagées par quiconque sans nécessiter d’autorisation spéciale ou de paiement.
Les sources d’information ouverte contribuent à promouvoir la transparence, la participation citoyenne et la collaboration dans divers domaines tels que la gouvernance, la recherche, le journalisme, et bien d’autres.
Au Sénégal, malgré les avancées significatives en matière de gouvernance et de liberté d’expression, de nombreux citoyens se heurtent encore à des difficultés lorsqu’il s’agit d’obtenir des informations cruciales sur les affaires publiques, les politiques gouvernementales et les décisions prises au niveau national.
L’une des principales barrières à l’accès à l’information réside dans le manque de transparence des institutions publiques et des organes gouvernementaux. Les rapports officiels, les données statistiques et les documents administratifs demeurent souvent inaccessibles au grand public. Même les documents qui semblent les plus anodins, comme la liste des inscrits à une élection, sont inaccessibles. Lors de la présidentielle du 24 mars 2024, la page web de la Direction Générale des Élections, ainsi que celle de la Commission Électorale Nationale Autonome n’étaient pas actualisées. Les seules informations disponibles étaient le fruit d’un travail citoyen réalisé par la plateforme SenegalVote. Cela entrave la capacité des citoyens, mais surtout des journalistes à participer pleinement à la vie démocratique du pays.
Le journaliste d’investigation Moussa Ngom explique qu’« il n’y a pas encore une grande connaissance du potentiel que ces sources d’info peuvent présenter en termes de facilitation d’enquête et ces sources ouvertes, pour celles les plus cruciales, ne sont pas souvent aussi riches car celles relevant de l’Etat sont souvent rendues difficiles d’accès. Cela s’explique par une culture de la confidentialité au sein de l’administration et des organismes publics. Il s’y ajoute le défaut de loi pour faciliter un accès universel aux informations d’intérêt public »,
Moussa Ngom en veut pour preuve le fait que dans plusieurs secteurs, pour l’acquisition de données essentielles à la compréhension du sujet sur lequel le journaliste travaille, celui-ci doit se tourner vers les institutions publiques qui, elles, mettent en place un ensemble d’obstacles rendant lent ou impossible l’accès à ces informations.
Plus nuancé, Alexandre Gubert Lette, journaliste et consultant en communication, estime que Dakar a fait des progrès ces dernières années avec l’avènement d’initiatives visant à accroître la transparence et l’accès à l’information publique dans certains secteurs. « L’exemple le plus illustratif est visible dans le secteur extractif avec les rapports de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) qui contiennent énormément de données ouvertes sur les entreprises minières et les ressources minières exploitées au Sénégal », relève-t-il.
Malgré cela, note M. Lette, les journalistes sénégalais font souvent face à des difficultés pour accéder à certaines ressources en raison du manque de transparence de certaines institutions gouvernementales, du manque d’accès à l’information financière et budgétaire, ainsi que de la réticence des responsables à partager des données sensibles.
S’agissant de la nature des obstacles, M. Ngom, fondateur et coordonnateur du média en ligne La Maison Des Reporters, et M. Lette s’accordent sur le fait que celle-ci peut être d’ordre juridique (manque ou défaut d’application de textes contraignant à la fourniture d’informations publiques), politique (manque de volonté) et social (culture du secret).
« Les principaux obstacles à la disponibilité de sources d’information ouvertes au Sénégal incluent le manque de volonté politique pour promouvoir la transparence, le manque de ressources et de capacités pour collecter, traiter et diffuser les données de manière accessible, ainsi que des contraintes culturelles et sociales qui peuvent limiter la divulgation d’informations », affirme Alexandre Gubert Lette, également entrepreneur social et coordonnateur des programmes à Teranga Lab.
Un véritable frein au travail journalistique
La disponibilité de sources ouvertes est cruciale pour faciliter tout travail journalistique. Son absence, « crée des barrières pour accéder aux informations de base les plus sûres sur lesquelles le journaliste se fondera ensuite pour articuler ses productions. La perception de la réalité est donc faussée dès le départ et certains sujets ne peuvent être réalisés sans accès à ces informations », souligne M. Ngom.
Alexandre Gubert Lette note également que ces difficultés affectent la qualité et la diversité de l’information disponible au Sénégal en limitant l’accès des journalistes à des sources fiables et vérifiables, en restreignant la capacité des médias à enquêter, et en réduisant la transparence et la reddition de comptes dans le secteur public.
Parallèlement, le manque de sensibilisation et de formation sur le droit à l’information constitue un autre obstacle majeur. De nombreux Sénégalais ne sont pas conscients de leurs droits en matière d’accès à l’information, et ceux qui le sont se heurtent parfois à des procédures complexes et bureaucratiques pour obtenir des renseignements.
Face à cette réalité, les organisations de presse et la société civile plaident pour l’adoption de mesures concrètes visant à garantir la transparence et l’ouverture des données au Sénégal. Ils appellent notamment à la mise en place de lois robustes sur l’accès à l’information, à la création de portails en ligne permettant de consulter facilement les données publiques et à la promotion d’une culture de transparence au sein des institutions gouvernementales.
« Des organisations comme Article 19 ont mené à plusieurs reprises des campagnes de plaidoyer dans ce sens notamment pour la loi sur l’accès à l’information. Il y a aussi l’Open Government Partnership dont le Sénégal est signataire », rappelle le promoteur de La Maison Des Reporters.
Le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Diakhar Faye pourrait alléger certaines procédures « en adoptant une législation contraignante et en la faisant respecter par ses agents », estime Moussa Ngom.
Pour le coordonnateur de Teranga Lab, Alexandre Gubert Lette, le gouvernement sénégalais peut contribuer à la promotion de l’ouverture des sources d’information en adoptant et en mettant en œuvre des lois efficaces sur l’accès à l’information, en investissant dans des infrastructures de données ouvertes et en soutenant la formation et le développement des compétences pour les journalistes et les acteurs de la société civile travaillant sur les questions d’information et de transparence.
Dans un contexte marqué par les avancées technologiques et la montée en puissance des médias sociaux, il est impératif que le Sénégal s’engage résolument sur la voie de la transparence et de l’ouverture de l’information. Cela non seulement renforcera la confiance des citoyens dans leurs institutions, mais aussi favorisera un environnement propice au développement économique, social et politique du pays.