Senegal

Une crise institutionnelle au Sénégal déclenchée par la tentative de suppression de 2 organes déterminant pour la  bonne gouvernance

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La démocratie sénégalaise traverse une période de turbulences, marquée par un affrontement entre l’exécutif et le législatif. La récente tentative du président Bassirou Diomaye Faye de supprimer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ainsi que le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) a provoqué un rejet de l’Assemblée nationale. Ce projet de loi visait, selon le Chef de l’Etat, à “rationaliser les dépenses de l’Etat”. Il a attisé des tensions politiques et révélé la fracture entre les nouvelles autorités de l’exécutif et une majorité parlementaire devenue, après la chute de l’ex Président Macky Sall, une nouvelle opposition. La situation actuelle, teintée de crise institutionnelle, ouvre la voie à des débats sur l’avenir de cette législature et des institutions que sont le HCCT et le CESE.

L’Assemblée nationale sénégalaise a rejeté, le 2 septembre 2024, le projet de loi visant à supprimer deux organes essentiels pour la bonne gouvernance que sont le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ainsi que le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). La Commission des Lois de l’Assemblée nationale avait déjà rejeté ce projet le samedi 31 août 2024.

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait proposé ce projet de loi lors d’une session extraordinaire convoquée le 29 août 2024, dans le but de supprimer ces deux institutions consultatives majeures. Le projet a été rejeté par 83 votes contre, alors qu’une majorité qualifiée de 99 voix était nécessaire pour son adoption. En revanche, 80 députés ont soutenu la suppression. Les deux institutions sont encore majoritairement dirigées par des figures influentes du régime sortant.

En réponse à ce rejet, la présidence a publié un communiqué le mardi 3 septembre 2024 indiquant que la présidence “prend acte de la décision” et réaffirme “son engagement à œuvrer pour l’expression des positions politiques plurielles, essentielle au jeu démocratique et à l’équilibre des pouvoirs”.

Cependant, en réponse au rejet du projet de loi sur la suppression du HCCT et du CESE, le président Bassirou Diomaye Faye a, par décret du 4 septembre 2024, mis fin aux fonctions de la présidente du HCCT, Madame Aminata Mbengue Ndiaye, et du président du CESE, Monsieur Abdoulaye Daouda Diallo.

Une crise institutionnelle au Sénégal déclenchée par la tentative de suppression de 2 organes déterminant pour la  bonne gouvernance

Le CESE, institué dans sa version actuelle en 2012 par le président Macky Sall, joue un rôle consultatif auprès des pouvoirs publics en matière économique, sociale, culturelle et environnementale. Cette institution peut être consultée par le président de la République, le gouvernement et l’Assemblée nationale et a pour mission de favoriser une collaboration harmonieuse entre les différentes communautés du pays. Au fil des décennies, elle a connu plusieurs évolutions, notamment un changement de nom entre 2003 et 2008 (Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales – CRAES), une dissolution en 2001 et une nouvelle création en 2003. Les 80 membres du CESE sont désignés par décret pour un mandat de cinq ans, leur permettant de suivre et d’évaluer les politiques publiques sur une longue période.

Quant au HCCT, créé par la loi constitutionnelle n°2016-10 du 5 avril 2016, il est une institution plus récente. Le HCCT a été institué après la suppression du Sénat en 2012, lorsque Macky Sall a réaffecté les ressources de cette chambre à la lutte contre les inondations. Avant sa suppression, le Sénat était dirigé par l’ancien parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais (nouvelle opposition en 2012). Le HCCT a pour mission de donner un avis motivé sur les politiques de décentralisation, d’aménagement et de développement du territoire. Il est composé de 150 membres : 80 élus au suffrage indirect et 70 nommés par le président de la République. Le HCCT vise à renforcer la collaboration entre l’État et les acteurs territoriaux et à moderniser l’action publique territoriale.

La tentative de suppression de ces deux institutions s’inscrit dans l’engagement du président Diomaye Faye de rationaliser les structures étatiques. Selon lui, bien que ces institutions soient théoriquement importantes, elles n’ont pas démontré une utilité suffisante pour justifier leur maintien, surtout dans un contexte de nécessité d’optimisation des ressources.

Cette démarche intervient dans un climat politique tendu. L’Assemblée nationale est contrôlée par une majorité parlementaire membre de la nouvelle opposition, issue du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY).

Après le rejet du projet de loi de suppression du HCCT et du CESE, les députés de BBY ont annoncé une motion de censure contre le gouvernement d’Ousmane Sonko. Cette motion, déposée le 2 septembre par Abdou Mbow, président du groupe parlementaire BBY, a conduit le président Diomaye Faye à convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour le 5 septembre 2024, avec un ordre du jour particulièrement chargé. Une stratégie de l’exécutif pour gagner du temps sachant que le parlement pourra être dissous (selon la Constitution) à partir du 12 septembre 2024. 

Cette session extraordinaire, qui se base sur l’article 84 de la Constitution du Sénégal, vise à inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale trois projets de loi et la Déclaration de Politique générale. La session prévoit l’examen des trois projets de loi, notamment le règlement pour la gestion de l’année 2022, la ratification d’une convention internationale adoptée à Malabo le 27 juin 2014, ainsi qu’un projet de loi relatif aux droits de l’homme. En plus de ces trois textes, le Premier ministre présentera donc sa DPG.

Ces discussions pourraient s’étendre sur plusieurs jours, car selon la Constitution du Sénégal, l’ordre du jour doit être complètement épuisé avant que l’Assemblée puisse passer à d’autres sujets. Cette stratégie vise peut être à retarder, voire empêcher, le débat sur la motion de censure déposée par les députés de l’opposition, avec la perspective d’une dissolution possible dès le 12 septembre 2024.

Ce contexte parlementaire ajoute une dimension supplémentaire à cette situation. Ces tumultes pourraient offrir au président Diomaye Faye des arguments devant l’opinion publique pour dissoudre l’Assemblée nationale, conformément à l’article 87 de la Constitution, à partir de septembre 2024.

La perspective d’une dissolution de l’Assemblée nationale à partir du 12 septembre, jour où cette législature atteindra deux ans de services, a mis les députés dans une situation délicate. D’un côté, soutenir la réforme constitutionnelle aurait signifié pour la majorité parlementaire un reniement vis-à-vis de leur ancien leader, Macky Sall. De l’autre, le rejet de la réforme a pu être perçu comme une tentative de l’Assemblée nationale de freiner toute initiative gouvernementale.

La présidence a souligné dans son communiqué que “le rejet du projet de loi portant révision de la Constitution, visant la dissolution du HCCT et du CESE, renseigne à suffisance, s’il en est besoin, sur la rupture profonde entre les députés de la majorité et les aspirations populaires qui se sont massivement exprimées lors de l’élection présidentielle du 24 mars 2024”.

Le leader du mouvement citoyen Demain c’est maintenant, Mamoudou Ibra Kane, a réagi sur sa page X (anciennement Twitter) en invitant le président Diomaye Faye à “ne pas verser dans une logique de vengeance par une dissolution de l’Assemblée nationale”.

Alors que s’enclenche une bataille institutionnelles, le sort du HCCT et du CESE, deux institutions emblématiques du cadre institutionnel sénégalais, reste pour l’instant en suspens. Leur avenir est étroitement lié à celui de la législature actuelle de l’Assemblée nationale. Une éventuelle dissolution du Parlement en septembre pourrait mettre en péril ces institutions si le pouvoir en place parvient à obtenir une majorité lors d’élections législatives anticipées.

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