Senegal

Les infox, une menace réelle pour la Présidentielle sénégalaise

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Les infox se profilent comme un enjeu majeur, pouvant potentiellement influencer le processus démocratique. Pire, ils risquent d’accentuer le clivage social dans un pays où l’accès à l’information est de plus en plus facilité par les réseaux sociaux et les plateformes en ligne, selon Samba Dialimpa Badji, Chercheur et doctorant à l’université OsloMet d’Oslo, spécialisé sur la désinformation et le fact-checking.

Les infox, ou fausses informations, se présentent sous différentes formes, allant des rumeurs infondées aux manipulations intentionnelles de l’opinion publique. Dans le contexte électoral, celles-ci peuvent être utilisées à plusieurs fins.

« Les enjeux de la propagande politique en période électorale demeurent les mêmes : discréditer les adversaires et influencer le choix des électeurs en mettant en avant son candidat et son programme. Ce qui évolue, ce sont les outils et techniques utilisés. Aujourd’hui, l’usage des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle rend la propagande politique plus sophistiquée et industrialisée », explique Samba Dialimpa Badji.

Dans ce contexte marqué par l’infobésité, une des principales préoccupations concerne la rapidité de propagation des infox sur les réseaux sociaux. Un prétendu sondage, devenu viral sur X et qui met en avant le candidat Bassirou Diomaye Faye avec « 37 % des voix », a été démenti par l’alliance #SaytuSEN2024. 

Dans son post, l’auteur attribue le sondage au « Centre d’études politiques international. » Après vérification, aucune trace dudit centre n’a été trouvée. Ce sondage a été également remis en cause par l’expert Mountaga Cissé, indiquant qu’en aucun cas celui-ci ne pouvait être légitime.

M. Cissé fait du monitoring sur le nombre de visionnage des vidéos de campagne des différents candidats. Il soupçonne d’ailleurs l’auteur du X d’avoir utilisé ses données pour établir son sondage.

Un autre aspect à considérer est la prolifération de faux comptes et de bots sur les réseaux sociaux, utilisés pour amplifier la diffusion de fausses informations ou s’adonner à la propagande politique. C’est le cas notamment de Evelyne Diatta, très active sur X, ou de ce groupe Facebook, dédié au candidat Amadou Ba. Ces faux comptes peuvent être créés dans le but spécifique de propager des mensonges et de manipuler l’opinion publique, sans laisser de trace facilement identifiable de leurs auteurs.

« Un exemple frappant de l’impact des infox sur les processus électoraux est l’élection présidentielle américaine de 2020. Les fausses informations propagées ont convaincu une partie importante de l’électorat américain, notamment les partisans du candidat Donald Trump, qu’il y a eu une fraude électorale, sans qu’aucune preuve n’ait été apportée. Cela pose un problème majeur en ce sens qu’il remet en question la sincérité du scrutin sans nécessité de preuve », indique l’ancien rédacteur en chef d’AfricaCheck.

Ces dernières années, les plateformes numériques et notamment les réseaux sociaux ont constitué des canaux privilégiés pour véhiculer, non seulement, de fausses nouvelles, mais aussi pour propager des discours de haine. Le Sénégal, avec un taux de pénétration d’internet estimé à 110,11 %, n’a pas échappé à ce fléau. Avec l’élection présidentielle du 24 mars, M. Badji craint que cette tension ne monte.

« L’un des risques majeurs des fausses informations, combiné à la manière dont fonctionnent les réseaux sociaux, est d’exacerber les clivages sociaux, communautaires et politiques. Les utilisateurs sont cloisonnés dans des cercles d’affinité, partageant toujours les mêmes opinions. Cela les rend de plus en plus réfractaires aux opinions contraires », relève-t-il.

M. Badji regrette par ailleurs le fait qu’aujourd’hui, quand une fausse information circule, même si les gens savent qu’elle est inexacte, dans la mesure où elle va dans le sens de leurs convictions et de leurs narratifs, ils la tolèrent parce qu’elle dessert leur adversaire.

L’autre implication, poursuit-il, est que nous sommes tous, à long terme, exposés aux fausses informations. Cela sème le doute dans l’esprit de nombreuses personnes, rendant difficile la prise de décisions éclairées, regrette le chercheur sur la désinformation.

Pas de solution miracle

Face à cette menace croissante, un consortium de médias, en partenariat avec des organisations de la société civile et des plateformes numériques, a mis en place une alliance de vérificateurs de faits pour lutter contre la désinformation, connue sous le nom de #SaytuSEN2024.  

Malgré ces efforts, la lutte contre les infox reste un défi de taille, souligne Samba Dialimpa Badji, convaincu qu’« il n’existe pas de solutions miracles pour faire face à ces risques. »

La sensibilisation des électeurs sur la nécessité de vérifier les sources et de croiser les informations demeure essentielle pour contrer la désinformation. De même, l’éducation aux médias et à la pensée critique peut jouer un rôle crucial dans la prévention de la propagation des fausses informations.

Pour lui, il est nécessaire de réfléchir à des stratégies à long terme impliquant tous les acteurs. « La grande difficulté de la lutte contre la désinformation est d’utiliser les bonnes stratégies qui permettent d’atténuer ses effets tout en évitant la censure et la répression des voix discordantes. C’est un défi complexe qui nécessite l’implication de tous les acteurs. Autrement, je crains que nos efforts ne soient vains », affirme-t-il.

À côté des initiatives citoyennes contre les infox, l’État doit également jouer sa partition dans ce combat afin de garantir une élection transparente et crédible, reflétant le choix des Sénégalais.

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